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Récit d'une
traversée de l'île

Lorsque j'ai quitté la métropole pour l'île de la Réunion parmi les projets figurait déjà la participation à l'ultra trail "La Diagonale des Fous" consistant à traverser l'île du Sud au Nord en passant par les trois cirques Cilaos, Salazie et Mafate et en empruntant essentiellement que des chemins de randonnées.
Dans le monde des trailers, c'est une course mythique qui a la réputation d'être l'une des plus difficiles au monde. Chaque édition est plus dure que la précédente, pour la vingtième les chiffres parlent d'eux même : distance 172 km, dénivelé positif 10 865 m, inscrits 2 800, finisseurs 1364 donc moins d'un inscrit sur deux termine la course. Pour le plus rapide, Kilian Jornet, le périple a duré un peu plus de 26 h, pour le gros de la troupe on est entre 60 et 70 h de course.
Sur l'île, si vous avez la possibilité d'arborer le tee-shirt des survivants, vous devenez une star locale.

Lors de ma première participation à cette course, je me suis blessé aux jambes et je n'ai pas pu aller au delà de la mi-course après avoir parcouru tout de même 90 km et 5 000 m de dénivelé.
Les inflammations étaient telles que j'ai dû attendre 3 semaines avant de pouvoir marcher à peu près correctement et pratiquement 2 mois avant de trottiner.

A partir de janvier, j'ai mis en place un programme d'entraînement sur des périodes de 7 semaines, avec du travail de fond, des montées en puissance, des plages de récupération et tous les 15 jours une grande sortie (au minimum 8 h de course à pied, cela pouvait monter jusqu'à 24 h).
Avec Guy Chenu, retraité sportif, à plusieurs reprises j'ai discuté autour de cette maxime "Entraînement difficile, guerre facile", heureux de l'avoir mise en application.
Je voulais mettre toutes les chances de mon coté afin de terminer cette course, donc pas de secret du travail, encore du travail... On n'en voit pas le bout mais on sait qu'un jour ou l'autre tout ce travail fourni paiera.

Petite particularité de cette course, pour les habitants de l'île il faut être tiré au sort pour pouvoir s'inscrire, il y a tellement de prétendants que l'organisation n'a trouvé que ce système pour sélectionner les inscriptions réunionnaises.
Dans l'attente du tirage, le moral flanche un peu, tant d'heures de sacrifice peut-être pour rien ?
La famille, les amis du club cyclos permettent de passer le cap.

Ca y est mon nom figure dans la liste des heureux élus, je mets les bouchées doubles aux entraînements pour évacuer la pression accumulée pendant cette attente.
La préparation suit son cours normalement, les médias commencent à parler de la course, la pression médiatique s'accentue au fil des jours, nous sommes à 15 jours du départ, la presse écrite, la radio, la télé font des reportages spéciaux sur la course, à chaque journaux télévisés un gros quart d'heure est consacré à cet événement. Il est temps de diminuer les activités physiques pour se mettre dans les meilleures conditions possibles.
La veille de la course, je dois aller retirer mon dossard à St Denis, lieu de notre arrivée. J'y rencontre des amis avec lesquels il est prévu que je fasse la course, on se donne rendez-vous sur la zone de départ.

C'est le jour J, jeudi 18 octobre, le départ de la course étant à 22 h, je fais une sieste jusqu'à 16 h, puis prends un petit repas. Je me rends sur le lieu de ramassage des compétiteurs par les bus mis en place par l'organisation, leur passage est prévu à 18 h35.
Il est 19 h 35 toujours pas de bus, l'année dernière cela avait été pareil 1 h de retard, on s'inquiète sans plus. 19 h 45 toujours pas de bus, la tension monte, on essaye de joindre l'organisation personne au bout de fil, on passe par les radios locales pour se faire entendre. 20 h, enfin un bus à l'horizon.
Malgré le faible kilométrage qui nous sépare du départ, vu les embouteillages il est peu probable que nous soyons arrivés pour le départ de la course. Un certain abattement tombe sur moi, j'essaye de positiver la situation, je me rappelle de la sagesse de Gilles, l'année dernière je me suis peut-être grillé parce que j'étais parti trop vite, cette année en partant parmi les derniers le rythme sera plus lent donc je me préserverais lors de l'ascension du volcan. Le moral revient, finalement cette mésaventure n'est pas si mauvaise que ça.
Je me présente à l'entrée du paddock à 21 h 55, je passe le poste de contrôle des sacs, je donne mes sacs d'assistance, enfin j'arrive sur l'aire de départ.
Je vois au loin le décompte du chrono plus que 2' avant le départ, pas le temps de trouver les copains avant le coup de canon et le feu d'artifice libérant 2 663 partants.
Boum !!!

Nous voilà partis pour 3 jours de course.
La bonne ambiance festive des spectateurs, diminue mon stress. Les premiers kilomètres sont faciles (goudron et plat) mais les péripéties météorologiques ne tardent pas. A peine 3 km de parcourus que j'ai déjà nous sommes trempés de la tête au pied par des entrées maritimes, heureusement il fait encore chaud, je reste en tee-shirt, je me dis que j'ai bien le temps de sortir la veste de pluie pour les températures plus fraîches vers le sommet du volcan. On quitte la route pour le premier sentier (un chemin de cannes) pour les locaux pas de surprise par contre pour les extérieurs on commence déjà à entendre les premiers jurons. Le sol est glissant, instable, les chevilles et les dessous de pied sont déjà sérieusement sollicités.
Déjà 2 h de course le premier ravitaillement se dessine au loin, je vais en profiter pour faire mes premiers étirements (indispensables pour garder une certaine fraîcheur physique), je sais qu'après ça monte fort vers le volcan par un sentier bien plus étroit et délicat à parcourir que le précédent.
Dans cette longue montée, j'essaye d'être aussi fin que Thierry, fournir le minimum d'effort pour gagner des places et jouer des coudes astucieusement pour grappiller encore quelques places.
Le jour va se lever, par rapport à l'année dernière j'ai plus de 2 h de retard, la sagesse va-t-elle payer ? J'arrive au poste de contrôle du volcan. Oh surprise, je retrouve mes amis, on constitue le groupe, plus rien de ne peut nous arriver (ou presque)...
Le mauvais temps alterne avec de courtes éclaircies, à Mare à boue, Christine assure l'assistance, je change de chaussettes, prends un thé chaud et c'est reparti. Un des amis n'est pas au mieux, son moral est au plus bas, c'est certainement le plus fort physiquement de nous tous mais dans ce type de course si la tête n'est pas là on ne va pas bien loin. On le soutient, on le tire, on le pousse, finalement il abandonnera à Cilaos.
J'attends déjà la maxime du club "Pas de pitié pour les faibles". La course est très dure physiquement et mentalement.
La première journée s'est bien passée, on va attaquer la deuxième nuit par la traversée des cirques de Mafate et de Salazie. A la sortie de Mafate, je sais le coin très dangereux, j'avertis le copain, un groupe nous dépasse 200 m avant l'arrivée au col de Fourche. On bascule sur l'autre versant, on descend quelques marches, on arrive sur le groupe qui venait de nous dépasser et ils nous annoncent qu'un des leurs à chuter dans l'a-pic. Quelques heures plus tard nous apprendrons le décès de ce compétiteur.
La fin de nuit est très agréable, le ciel est magnifique, les premières hallucinations apparaissent. Je vois notamment des panneaux de circulation et publicitaires le long des sentiers dans Mafate, cirque accessible uniquement à pied.
Une des grosses difficultés de cette édition se présente à nous, l'ascension du Maïdo. Pierre aurait été là, il aurait certainement dit "Plus tu vas vite, plus c'est court." mais ici, vu notre état on va raison garder ; en bon créole on va plus tôt appliquer "ti pas, ti pas", chaque pas nous rapprochant du sommet.
Au final cette grimpette de 1 600 m, se passe mieux que prévu heureusement car il nous reste encore 50 km à parcourir.
La troisième nuit arrive, on n'a toujours pas dormi, le copain est HS et me demande de dormir ne serait ce que 30'. Comme j'ai trop peur qu'on ne se réveille pas je lui dis ok pour lui mais moi je fais des assouplissements à la place pour rester éveiller et éviter que la machine ne se refroidisse de trop.
On repart en sachant que nous avons franchi les plus grosses difficultés mais que nous ne sommes pas à l'abri d'un pépin.
La fin du parcours est une lutte permanente contre les douleurs qui se font jours de plus en plus régulièrement, les dessous de pied sont en feu, nos articulations et nos muscles fatigués nous font adopter des postures surprenantes. Malgré l'heure matinale, de nombreuses personnes sont le long du sentier et nous encouragent. On a plus le droit d'abandonner maintenant, une seule chose en tête il faut aller chercher la médaille des survivants.
Enfin dans la dernière descente nous voyons le stade où l'on doit franchir la ligne d'arrivée. Des ailes nous poussent dans le dos, je ne sais par quelle magie les douleurs s'estompent. Christine me rejoint à quelques km de l'arrivée, nous faisons ces derniers mètres en trottinant au milieu de la foule comme si on faisait une promenade de fraîcheur...

Avec beaucoup de travail, énormément de volonté, on peut vaincre bien des difficultés et réaliser nos rêves.
Peut-être à bientôt sur les magnifiques sentiers de randonnées de la Réunion.

Chaleureusement,

Ludovic

 

Bernard - CHICOT - LUDO

Bernard - LUDO

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